Chapitre 9

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Quand la lumière fut, le feu envahit l’univers. Il lécha sans douleur la peau mate de Michaël pour en extraire le moindre grain d’impureté. Prisonniers du brasier, les pénitents crièrent. Mais leur détresse fut noyée. La litanie des séraphins reprit. Elle s’éleva vers les hauteurs de la cathédrale, sous ses voûtes perchées si haut que des nuages les cachaient. Les voix résonnèrent si fort que tous les élohim présents dans l’édifice auraient juré qu’elles étaient remontées jusqu’à la Couronne, au sommet absolu des Royaumes des Cieux, où se trouvait le trône d’EL. Mais alors qu’il enchantait les élohim et peut-être même leur dieu détruit, ce chant s’écrasa violemment sur les halos des pénitents, pour emporter leurs esprits dans un tourbillon qui grondait d’une fureur terrifiante. Dans un réflexe de survie, Michaël leva son regard. El retrouva les yeux perçants du serpent blanc, et s’y accrocha éperdument.

“Nous sommes les gardiens du Créateur

Son corps nous reconstruisons

Son âme nous recomposons

Sa Création nous gardons en son nom

Porteur de Lumière, que ton feu expurge nos vices

Pour que nous servions de nouveau le Grand Dessein”

La litanie avait pour but d’effacer la personnalité et la volonté des pénitents, ne préservant en els que l’obsession pour le Grand Dessein. Michaël lutta, fit sa propre prière.

Porteur de Lumière, protège mon esprit, garde le intact

Pour que je me souvienne de toi, de ta voix, de tes actes

Porteur de Lumière, fait une force de mon chagrin

Pour que mon combat contre les ténèbres ait un lendemain

— Prie-le ! s’exclama une voix grondante de fureur. Prie-le et vois s’el ose se montrer !

Michaël, aveuglé, chercha en vain la source de cette voix, qu’el reconnut être celle de Burrhus. El se sentit présent non loin, sa masse absurde faisait vibrer l’espace-temps, ondoyer le brasier. Qu’allait-el faire ? D’où allait-el surgir ? Burrhus ricana. Michaël sentit un souffle chaud l’envelopper, dissipant brièvement le brasier autour d’el. Burrhus était là, juste devant el. Ou plutôt, sa gueule immense, remplie de crocs. Michaël leva les yeux et vit une masse noire, ponctuée de centaines d’yeux dorées, couronnée de feu. Le séraphin avait révélé sa véritable forme, apocalyptique. El ouvrit grand sa gueule et fondit sur Michaël. Le corps de la jeune vertu éclata en mille morceaux sous ses crocs. Burrhus le dévora, encore et encore. Michaël ne sentit rien, rien d’autre qu’une désorientation totale. Son esprit, son halo, perdit son enveloppe charnelle et divagua dans le flou. El vit son corps ruiné, sans comprendre. 

Mais Burrhus ne s’arrêta pas là. El dressa son feu tout autour, emprisonnant le halo errant de Michaël avant de se jeter sur el. Ses crocs déchirèrent sa lumière. D’innombrables bulles de lumière mauve giclèrent dans tous les sens. Mais Michaël lutta. Son esprit se rassembla, résilient. El s’exprima par télépathie. 

— Que faites-vous ?!

— Je purifie ! répondit Burrhus. 

L’indignation électrisa l’esprit de Michaël. Comment cet ignoble séraphin osait-el tenter de détruire son essence, son âme ? De quel droit ? 

— Tes crocs ne peuvent rien contre moi !

Burrhus ricana, encore. Son halo enflammé affronta celui de Michaël, le conflit entrant dans une poche du réseau EL. Burrhus tenta de pénétrer son essence. Michaël dressa des défenses psychiques. El dressa autour d’el de murs de lumière et forma un labyrinthe, dans lequel le feu de Burrhus s’étendit, se perdant dans les méandres. Michaël se cacha au centre du complexe et prépara un nouveau piège.

— Essaye de me trouver ! Abrutit !

Le brasier de Burrhus accéléra. Michaël eu beau étendre le labyrinthe, sa progression finit par le surpasser et le feu parvint à el. Alors Michaël déploya un deuxième tour. El dressa devant le séraphin un chemin infini, en forme de huit. El s’y engouffra, et fonça, sans voir qu’el tournait en rond. Michaël profita de sa confusion pour dresser de nouveaux obstacles, de nouveaux labyrinthes. Burrhus finit par comprendre. 

— Stupide vertu ! Tes petits tours ne suffiront pas à me stopper. 

— Tu finiras bien par te fatiguer…

Le rire de Burrhus retentit, faisant vibrer l’espace-temps. Cette fois, les perturbations furent si intenses que le tissu de la Création se déchira. Des abysses s’ouvrirent, noirs d’encre. Des démons s’en déversèrent. Michaël brandit alors une lance de lumière et à la manière d’une puissance, affronta les démons, les pourfendant un à un. Mais les monstres de ténèbres se démultiplièrent, vomis par les abysses en nombre. Bientôt, Michaël fut submergé. La lumière, le brasier, furent engloutis par un océan d’obscurité. 

Michaël se réveilla dans une pièce sombre, circulaire. El haleta, fiévreux, incapable de se redresser. 

— Shhh, fit Ophélia, caressant le front de son fils.

— Maman…

— Tout va bien. Tout va bien se passer.

— Burrhus… El essaye de me tuer…

— Non. El veut juste te purifier. Laisse-toi faire, et tout ira bien. 

— Non… non…

— Michaël, tu dois renoncer au feu qui brûle en toi. 

La jeune vertu battit des paupières, sonda l’obscurité. Au-dessus d’Ophélia se dressait une silhouette sombre, immense, au halo de feu. Burrhus était là. El osait contraindre sa mère !

— Raphaël ! Kokabiel ! appela Michaël, en cherche d’une aide, d’un allié face au monstre. 

— Un deux trois, EL te voit !

Michaël leva les yeux. Autour d’el, tout avait changé. El se trouvait à présent en extérieur, sous un ciel mauve éclatant. Des centaines d’enfants jouaient dans le désert rocailleux, dans une vallée bordée d’arbres. Ces derniers portaient des oranges gorgées d’ichor sucré. Michaël reconnut le jardin qui bordait le gynécée, où el avait passé tant de temps durant son enfance. El se tint immobile, au milieu de la foule des gamins. Au loin, l’immense Raphaël se détourna et d’un coup, les enfants s’envolèrent, se ruant en avant, dans la direction de l’archange. 

— Un deux trois, EL te voit !

Raphaël se retourna brusquement vers les enfants, qui s’immobilisèrent. Certains, maladroits, s’écrasèrent ou trébuchèrent. 

— Éliminés ! s’écria Raphaël en les désignant.

Soudain, alors que Raphaël observait les enfants, Burrhus apparut derrière el. Michaël cria pour l’avertir. Raphaël se retourna, vit le monstrueux séraphin, et lui sourit. El reporta alors son regard vers les enfants et chercha. 

— El est là ! s’exclama alors une voix enfantine. 

Michaël reconnut Kokabiel, jeune. El dénonçait sa présence à Burrhus. Le séraphin s’éleva alors au-dessus de la foule et fondit sur Michaël. El mordit son halo, qui éclata. Michaël lutta pour se reformer, plus que la dernière fois. Autour, Ophélia, Raphaël et Kokabiel observèrent, sans rien faire. 

— Tu es seul. Soumets-toi.

— Non !

Burrhus, immense serpent de feu et de ténèbres, se dressa devant Michaël, émergeant d’une armée de démons. 

— Hérétique ! accusa Michaël. 

El n’eut pour seule réponse que le rire du monstre, encore, et son rugissement. 



— Seuls ses yeux nous voient, souffla Siriniel en retenant un agacement prononcé. Sa conscience est atomisée. Nous n’avons rien à faire ici.

— Mon domaine n’est pas celui de la conscience, dit Brenna. Je ne suis pas arrivé à la tête de HodArch simplement en dérangeant les élohim dans leur sommeil.

Brenna et son bras droit Siriniel se tenaient aux abords du transept du Jugement. Dans l’immense fosse, els observaient Michaël et Burrhus, figés dans une étrange transe. Bien qu’els ne bougeaient pas, leurs halos scintillaient vivement, trahissant un affrontement psychique. Brenna, grâce à ses pouvoirs d’oniromancie, sonda l’esprit de Michaël et découvrit qu’el était fracassé. 

— El le torture depuis des jours et personne ne se pose de questions, s’indigna Brenna.

— Torture ? Vraiment ? râla Siriniel.

— Oui. Burrhus est en train de détruire l’esprit de Michaël à petit feu. El l’assaille…

— El le mérite. 

Brenna lança un regard noir à son bras droit. 

— Rentre au nid, ordonna-t-el calmement. 

Depuis des jours en effet, Michaël fuyait, fuyait encore. Son esprit traversant un espace infini, poursuivit par un brasier dévoreur. Des démons, aux silhouettes insondables, étaient alliés à Burrhus. Le feu sacré allié au ténèbres. Comment une telle abomination était-elle possible ? Michaël s’épuisa peu à peu, les rayons lumineux de son halo lentement mais surement dévorés par ses assaillants. Les obstacles qu’el dressait face à Burrhus puisaient aussi dans ses réserves psychiques. 

Au bout de ce qui sembla être une éternité, Michaël sentit une présence nouvelle aux alentours. De petites fissures étaient apparues dans la poche de réseau EL, un liquide blanc s’en écoulant. Les fissures se multiplièrent dans d’innombrables craquements et l’espace se remplit du liquide, qui forma une mer, un océan. Michaël l’observa, apeuré, mais réalisa alors que l’océan éteignait le brasier de Burrhus. Immédiatement, Michaël plongea dans les flots. Et enfin, la douleur, la peur, s’éteignirent. 

La jeune vertu se laissa couler dans l’infinité blanche un long moment, enfin à l’abri, lui sembla-t-el. El vit alors des masses plus sombres couler autour d’el, des élohim. Els ne bougeaient pas, semblaient inanimés. Leurs halos étaient éteints. D’autres pénitents ? se demanda Michaël. Non… Els ne portaient pas la robe noire. 

C’est là qu’el le vit : Nakirée. Toujours là. Toujours mort. 

Le chérubin avait les yeux fermés, sa peau était pâle et froide. Mais son expression était sereine. Michaël lui envoya une prière.

Nakirée, gardien de Sicad, martyre d’EL

Héros chérubin, fils du Saint Psychopompe

Tu es la source de mon réconfort, car ton âme j’ai envoyé au berceau

Dans l’espoir d’un jour la retrouver auprès de moi

 

Nakirée, gardien de Sicad, martyre d’EL

Tes yeux par centaine ont vu la vie et la mort

Ils ont vu dans l’ombre les secrets cachés entre les fils de la Création

Dans les rangs des enfants d’EL, une vile corruption

 

Nakirée, gardien de Sicad, martyre d’EL

Fais-moi voir les dangers qui s’amassent à l’horizon

Recouvre mes ailes de tes yeux

Pour voir la vérité

— Ha ha ha ha ha ha ha ha ha.

Burrhus était de retour. Furibond, Michaël rugit :

— Quoi ? Quoi ?! De quoi ris-tu, monstre ?

— Ne crains-tu plus la douleur, enfant d’EL ?

— Je survivrai à ta torture.

— Oh, de l’espoir, je vois.

— Oui, de l'espoir.  Car j'ai envoyé les âmes des gardiens dans le berceau. J’ai bien servi EL, et EL sauvera mon âme de ta corruption.

— Sais-tu que si tu n’avais pas fait sortir les gardiens de Sicad de leur monolithe, els seraient encore en vie ? dit alors Burrhus. 

— Hein ? 

— Les monolithes sont assez puissants pour protéger leurs habitants, même d’une frappe de partzuf.

— Mensonges !

— Ha ha !

— Mensonges ! Mensonges ! Mensonges ! Mensonges !

Michaël s’emporta dans une rage enflammée. Son être parcellé, son esprit et son corps se rassemblèrent à la surface de l’océan blanc. Des centaines d’yeux se posèrent sur ses membres, sur ses ailes. La prière à Nakirée avait marché ! Depuis le Berceau où el reposait, el envoya à Michaël sa bénédiction. La jeune vertu retrouva la vue et se saisit du pouvoir de la Clairvoyance.

Grâce à la Clairvoyance, Michaël vit la blancheur infinie s’effacer pour laisser place à une coupole de marbre noir, duquel descendait un dragon de marbre blanc, aux yeux de feu. La litanie des pénitents résonna comme une bouillie informe, auxquels s’ajoutèrent les échos de la cathédrale tout entière. Michaël retrouva la réalité, mais la panique le gagna. El cligna les yeux. Une vertu de génération moyenne apparut dans le flou.  

— Accroche-toi petit-frère, accroche-toi.

Brenna ?

Une clameur résonna dans le transept, sur des millions de kilomètres carrés. De très grands halos mauves circulaient, dominant les milliards de peupl’ailes qui venaient honorer EL et son fils. Dans de grandes envolées lyriques, les élohim de HodArch s’indignaient de la torture d’un Fitzarch. Michaël n’était peut-être pas dans leur chorale, mais el restait un des leurs. El avait été volé par Raphaël, privé de sa juste place parmi ses frères. En soutenant l’esprit vengeur de l’archange-prince, les séraphins méprisaient le sacré de la graine du Grand Architecte, qui contrairement au Porteur de Lumière, étaient encore en vie et régnait sur les Cieux. Le dernier Primordieu ne saurait supporter qu’un de ses enfants soit ainsi malmené. Les HodArch s’assuraient de faire savoir cela. 

Brenna, déguisé, assura quant à lui son soutien à son petit frère. 

— Ennead t’a livré au monstre mais pas HodArch. HodArch est là pour toi.

— Oh Brenna, pleura Michaël. Burrhus est corrompu. C’est lui qui a trompé et condamné les gardiens de Sicad ! 

— Quoi ? Comment ça ?

Les grands yeux de l’archange étaient remplis de larmes, entre confusion et effroi.

— Nakirée ne m’a pas donné que ses yeux… Trouve le petit cristal…

Clac !

Michaël replongea brusquement dans l’océan blanc, arraché de la réalité par les crocs de Burrhus. Le serpent géant entraina l’esprit de Michaël vers le fond, puis le mordit, le dévora. Le halo mauve de Michaël explosa en millions de petites bulles. 

— Me dévorer est inutile ! clama Michaël. Je me reforme !

— Vraiment ? ria Burrhus.

La jeune vertu tenta de se reconstituer, sans y parvenir. L’épuisement le gagnait, même dans l’océan. L’esprit du Fitzarch, décomposé ne put plus bouger et commença à s’éteindre. Burrhus se déchaina. 

C’est alors que du halo désintégré de Michaël, une petite flamme aveuglante surgit. 

Immédiatement Burrhus se précipita sur l’étincelle pour l’avaler. Mais la petite flamme esquiva le monstre. 

— Fuis ! Fuis ! s’écria Michaël, rassemblant les dernières bribes de sa conscience pour propulser sa petite flamme à l’abri. 

La bénédiction de Nakirée faisait toujours effet. Michaël ouvrit grand les yeux, poussé par l’instinct de survie. Dans le transept du jugement, el vit le grand serpent de marbre blanc qui surplombait la fosse. La petite flamme bondit dans les airs, sur la statue. 

Brenna observa la scène, la mine éberluée, alors que le serpent de marbre prenait vie. Sur sa tête, une couronne de feu, dans ses yeux, une étincelle aveuglante. 

— Phosphoros ! s’exclama Brenna.

Burrhus, toujours dans sa forme apocalyptique, rugit si fort que la cathédrale toute entière trembla. La panique gagna les élohim, créant un mouvement de foule dévastateur. Piégé, le séraphin n’eut pas le temps de réagir et Phosphoros s’abattit sur lui de tout son poids. Brenna tenta de rejoindre Michaël, mais la foule l’emporta. Le jeune Fitzarch resta prisonnier de la masse des pénitents et perdit conscience. 



Le transept du jugement fut évacué. Michaël fut ramené au gynécée royal. Ophélia débarqua en trombe dans la chambre de son fils. Burrhus y était déjà, caché dans l’ombre. Surprise, Ophélia hoqueta, se demandant comment le séraphin avait pu entrer ici. El était vouté, haletant.

— Que diable vous est-il arrivé ?! s’inquiéta Ophélia.

— Rien, cracha Burrhus. Rien…

Ophélia soupira. Elle s’écroula presque sur son enfant, pleurant silencieusement.

— Alors, où en est-on ? demanda l’azoha, la voix raillée.

— Je l’ai dilué, répondit Burrhus. Dilué, dilué et encore dilué pour extraire la flamme du guerrier. C’était la seule chose à faire.

L’immense séraphin s’accroupit en grommelant encore, comme une montagne qui s’affaissait sur elle-même. 

— Ça suffira ? souffla Ophélia.

— Non. Nous pouvons remercier Brenna pour cela. 

L’azoha se redressa compulsivement, comme pour contenir son effroi. 

— Raphaël n’a-t-el pas banni les HodArch de la cathédrale ? Je l’ai pourtant persuadé de le faire.

— Les HodArch se sont quand même invités dans le transept du jugement. Je ne sais pas comment…

— Alors la dilution doit être recommencée ? demanda Ophélia en ne pouvant retenir ses larmes.

Burrhus grommela. 

— La flamme du guerrier repousse en el tel un cancer chez une pauvre créature. Elle est maligne. Et si profondément ancrée que… La dilution, même recommencée, même répétée, ne suffira pas. À long terme, elle pourra même se révéler contre-productive.  À ce stade je ne peux qu’essayer de gagner du temps avant…

— Mère ?

— Oh mon chéri, pleura Ophélia.

Michaël venait de se réveiller. 

— Burrhus est là ?!

— Non, non…

Burrhus se dissimula en invoquant sur lui une ombre si noire qu’elle l’occulta totalement. Michaël s’agita. El se vit allongé, vit ses bras, son corps. Les yeux offerts par Nakirée avaient disparu, laissant sa peau mate marquée de rainures d’or par la force des flammes.

— Mère, tu m’as trahi ?

— Je suis désolée, pleurait Ophélia. Je suis tellement désolée.

Michaël, incapable de bouger, sentit la main de sa mère dans la sienne. 

— Sépare-toi de ce feu rebelle qui te dévore de l’intérieur, dit Ophélia. C’est tout ce que tu as à faire si tu veux la paix.

— Je ne veux pas la paix, je veux la justice, souffla Michaël.

— Burrhus essaye juste de te sauver, de tous nous sauver.

— Quoi ? croassa Michaël. 

Ophélia se tourna vers Burrhus. 

— Combien de temps on a ? demanda-t-elle d’une voix craintive.

— Quelques cycles tout au plus, répondit le séraphin.

Ophélia cacha ses yeux, au bord des larmes. 

— Je lui ai dit de se laisser faire, je… el n’y arrive pas ?

Burrhus secoua la tête.

— On ne peut “demander” à un incendie de s’éteindre, ou de cesser de s’étendre. Tant que je ne serais pas capable d’étouffer la flamme, nous lutterons, éternellement. Il nous faut trouver une autre méthode.

— Oh, qu’AZ ait pitié de moi, qu’AZ ait pitié de mon enf…

— Burrhus ! Je vais te tuer !

Michaël se redressa, prêt à refaire face à son tortionnaire.

— Que fais-tu ici ?! Laissez ma mère tranquille ! siffla Michaël dès qu’el le vit.

Burrhus réprima un rire guttural.

— Tu devrais la remercier…

— Maman, comment peux-tu discuter avec ce monstre ? C’est el qui a conduit Sicad à sa perte ! Je le sais ! 

— J’essaye de te sauver, mon enfant, répondit Ophélia d’un ton ferme.

Malgré sa tristesse, el semblait assumer pleinement ce qu’el faisait. Cela perturba Michaël, mais la vertu garda sa verve.

— Ma punition est-elle terminée ? Ai-je été assez torturé au goût de l’archange-prince ?

Burrhus échangea un regard entendu avec Ophélia. À quoi ces deux-là pouvaient-els bien penser ?

— Ta punition n’a duré qu’un jour, de la Miséricorde au Jugement, dit finalement Burrhus. Par la suite, le travail que j’ai accompli sur toi avait un tout autre but.

— Quoi ? fit Michaël, la voix raillée. Mutiler mon esprit ? M’enlever toute ma volonté et ma fougue ? Pourquoi, par EL ? Tu veux me faire taire sur ce qu’il s’est passé à Sicad !

— Non. Nous voulons te protéger d’un mal qui pousse en toi, expliqua Ophélia.

— Un mal ? Suis-je malade ? Maudit ?

— En quelque sorte, gronda Burrhus.

— Alors pourquoi m’as-tu torturé ? On m’aurait soigné à l’hôpital non ? À la Chapelle des vertus !

— Ce mal ne peut être combattu ainsi. Il faut l’arracher de ton esprit, de ton âme même, auquel il s’est vicieusement accroché.

Michaël secoua la tête, l’estomac tordu par une forte nausée.

— Mais par EL que m’arrive-t-il ? gémit-el, des sanglots dans la voix. Tout ceci est-il réel ? Suis-je devenu fou ?

— Non, dit doucement Ophélia en s’agenouillant auprès de son enfant. Laisse-toi faire encore quelques heures et…

— Je veux voir Raphaël, ma chorale, je veux rentrer chez moi.

— El ne peut se laisser faire, dit Burrhus. C’est là le premier symptôme et la première conséquence de son mal. Il s’emparera d’el comme d’un bouclier et une lance contre nous, quoi qu’il arrive.

— N’y a-t-il pas d’autre méthode alors ? supplia presque Ophélia en leva le regard sur le sombre séraphin.

— Livre-nous ce mal, dit alors Burrhus à Michaël. Même si tout en toi t’urge de le défendre, fait le contraire, tente de me le donner. Mets-y toute ta colère et ta souffrance en lui s’il le faut, mais sépare-toi-en…

Michaël cria, le cœur explosé de fureur à la simple idée de céder quoi que ce soit à ce monstre.

— Je n’ai pas oublié, Burrhus, je n’ai pas oublié Sicad. Je n’ai pas oublié Nakirée.

— Ce maudit chérubin te manipule même depuis le Berceau. N’écoute pas ces pensées mensongères. Livre-moi tes flammes cancéreuses, et ta vie d’avant reprendra.

Burrhus essaya encore et encore de persuader Michaël de coopérer, en vain. Agacé, el finit par secouer la tête. Alors qu’Ophélia berçait son enfant, Burrhus réfléchit, de longues minutes. Puis, toujours dans l’ombre, el sortit une lame étrange de son chasuble. El était faite de cristaux bleus et sombres, enchevêtrés d’une manière si étrange qu’el échappait à la raison. El formait des figures impossibles, des erreurs physiques fondamentales. Burrhus s’approcha. Mais quand elle vit la lame, Ophélia hurla :

— NOON ! NOOON ! PAR AZ ! TU VAS LE TUER NON !

— Je n’ai pas le choix, répondit calmement Burrhus. 

— Maudit séraphin ! cracha Ophélia, qui se jeta sur son fils pour le protéger. Tu as passé trop de temps dans l’ombre ! Tu te roules dans la boue d’un passé dégoutant ! Ta morale est aussi corrompue que celle du Grand Meurtrier de mon genre ! Crois-tu pouvoir détruire un Fitzarch et t’en sortir comme ça ?!

Burrhus saisit Ophélia par le cou et l’envoya valdinguer. El brandit sa lame. Michaël, dans un dernier geste désespéré, attrapa le bras du séraphin et le repoussa de toutes ses forces. Mais Burrhus était colossal et appuya de tout son poids. Sa lame entra dans la poitrine de Michael, pile entre ses cœurs. Mais dans cet instant de mort, la flamme qui brûlait à l’intérieur se réveilla. Elle ne s’était pas laissée détruire dans la cathédrale. Elle n’allait pas abandonner maintenant non plus. Michaël étendit son halo, qui s’ouvrit, et la flamme de Phosphoros surgit.

☿ — Abrutit ! cracha-t-el. Kokab ! Éveille-toi !

Dans la poche de Burrhus, quelque chose prit feu. Déstabilisé, le séraphin interrompit son geste meurtrier, ouvrit grand les yeux et la bouche. Trop tard. Il y eut une explosion de lumière, puis Burrhus se leva, paniqué. Sa lame tomba au sol. Michaël s’en saisit, la brandit, et frappa.

La lumière de Phosphoros disparu aussi brusquement qu’elle avait surgi. Burrhus s’effondra d’un seul coup. Son halo s’éteignit. Un petit cristal noir roula sur le sol, tombant de la poche de Burrhus. Michaël le saisit. 

— Le cristal de Nakirée, souffla-t-el. 

Comment s’était-il retrouvé entre les mains de Burrhus ? Michaël jeta alors un regard à Ophélia. L’azoha avait les yeux grands ouverts, la mine tétanisée. 

— C’est toi qui lui as donné ? demanda Michaël.

— Attends, gémit Ophélia. Je peux tout expliquer…

— Et tu l’as laissé me torturer ? hoqueta son fils. 

— Tu es possédé Michaël ! Possédé par un être abominable.

Un éclair de colère pur foudroya Michaël. Dans sa main droite, el tenait toujours la petite lame du meurtrier. Une chaleur étrange monta de son bras. Une envie irrésistible de frapper, encore. De frapper cette impudente azoha, qui devrait déjà être morte. Ophélia leva les bras, terrifiée. 

— Phosphoros, souffla Michaël. Non… 

El ne pouvait pas faire ça. Vite, une distraction. Michaël alors regarda Burrhus, mort. Son halo était éteint. El n’avait pas reçu les derniers rites. Son âme n’était donc pas allée au berceau. 

—  J’ai tué, réalisa Michaël. J’ai tué un éloha…

El ne comprenait pas ce qu’il venait de se passer. Tout ce qu’el savait, c’est que, l’espace d’un instant, el avait été autre chose. Quelque chose de plus puissant… et de terrifiant.

Michaël lança un dernier regard à sa mère, avant de s’en détourner. El enjamba le corps de Burrhus, et sortit de sa chambre d’enfance. 

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