Chapitre 12

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Michaël vola jusqu'au sommet de la tour où el résidait et déboula dans un petit aérogare. Lors de l'atterrissage, Nana, qui volait juste derrière el, le percuta. Les deux élohim tombèrent au sol. 

— Par EL ! s'emporta Michaël. Tu peux pas me lâcher deux minutes ?! 

— Non ! protesta Nana. Je dois participer à la réunion ! Et te suivre partout, de toutes les manières !

— Je ne veux pas que tu viennes ! asséna Michaël sur l'espion de Géhenna. Fous-moi la paix et va prendre une thaum Xanax ! C'est un ordre ! 

— Je suis pas sous tes ordres, Fitzarch ! ria Nana, toujours de bien trop bonne humeur. 

Michaël partit en courant vers une navette en forme d'œuf. El sauta à l'intérieur et déclama :

— Je t'interdis de monter dans ce véhicule, Nana ! 

La vertu de Géhenna s'immobilisa. El tenta de toutes ses forces d'entrer dans la navette, mais un champ de force invisible l'en empêcha. Michaël sourit. Le sort de Sasha avait réussi. Nana ne pouvait pas entrer dans un lieu si on ne l'y invitait pas. 

— C'est quoi cette sorcellerie ? s'inquiéta Nana. 

— Je sais pas, demande à Sasha, sourit Michaël.

— Qu'a-t-el fait ? El a jeté une thaum sur moi hier soir ?

— Yep !

— J'en était sûr ! Attends, est-ce que tu me chasses pour pouvoir passer du temps seul à seul avec el ?

— Tout à fait !

Nana, toujours en lévitant, recula.

— Tu réalises que Sasha est juste là sur ordre de Zinebiel, pour te garder sous son influence ? 

Michael fit une grimace obscène, indiquant à Nana d’aller se faire voir. Vaincu, ce dernier s'éloigna vers un autre véhicule. Dans son coin, toujours à moitié paralysé, Nana observa encore Michaël. Le Fitzarch grimpa dans sa navette autonome en forme d'œuf et s'installa dans un des larges fauteuils. Ces derniers étaient très confortables et même rehaussés de supports pour les ailes. Le jeune Fitzarch se laissa glisser dans leur douceur. Mais soudain, quelqu'un d'autre débarqua. 

— Sasha…

— Hello !

La principauté, rayonnante, grimpa à son tour et s'installa aux côtés de Michaël. Le Fitzarch l'observa, le regard transi d'adoration face à sa beauté. Sasha portait une robe verte, brodée d'or. Ses longs cheveux auburn cascadaient sur ses épaules graciles. Ses yeux verts pétillaient et son petit sourire illuminait l'univers. Ainsi, Michaël ne put s'empêcher de garder son regard rivé sur la principauté, des minutes durant.

— Alors, tu récupères ? 

Michaël acquiesça, l'air béat. Sasha se pencha sur el et la jeune vertu sentit son parfum floral, envoûtant, et tendit ses lèvres pour recevoir un baiser. 

— On décolle ? demanda la principauté.

— On décolle, confirma Michaël. 

La grande porte de l'aérogare s'ouvrit et le vaisseau-œuf décolla et monta dans les airs. Michaël eut du mal à reporter son regard ailleurs que sur Sasha, mais quand el y parvint, el put contempler l'étendue du vaisseau-monde sous el. La cité du Domitia semblait intacte. Des millions de halos allaient et venaient entre les tours et les bâtiments, sur les parcs et les lacs. Les six piliers du vaisseau lévitaient calmement. Au loin, la Flèche faisait de même. 

— C'est comme s'il ne s'était rien passé, commenta Sasha. Les ophanim ont tout réparé en un rien de temps. 

Michaël fit un demi-sourire, se demandant si Sasha venait de faire un jeu de mots par rapport aux démons du temps. Le Fitzarch leva alors les yeux pour observer les hauteurs du Domitia. La sphère des navigateurs, qui trônait dans le ciel artificiel, n'était pas intacte, elle. Des milliers de vaisseaux étaient y amarrés et d'innombrables élohim tournaient autour, comme un essaim d'abeille protégeant leur ruche. Sasha soupira.

— Il nous reste la Sphère à... libérer, soupira Sasha. Nos élohim n'ont toujours pas réussit à entrer… J’espère que nous allons bien nous organiser durant la réunion d’aujourd’hui. Les capit’ailes n’ont pas l’air très courageux…

Michaël ne dit rien, l'estomac noué.

— Ça va Michaël ? demanda soudain Sasha, les yeux braqués sur le Fitzarch. 

— Oui, souffla la vertu. 

— J'ai l'impression que tu as un petit coup de mou, dit doucement Sasha en s'approchant. Enfin, vu ton état, c'est normal.

— Mmh, mmh...

— Mais tu étais plus… pétillant hier soir, malgré ça. Tu as beaucoup de hauts et de bas j'ai l'impression. Un moment tu es déchaîné, puis tu es tout calme et réservé. 

— Névrotique, murmura Michaël. Je suis un peu névrotique… Enfin… C'est Nana qui est névrotique aussi. El est en phase manique et moi en phase dépressive. Parfois c'est le contraire. Mais du coup on se supporte plus et ça me pompe l'air. 

Sasha resta un instant silencieux face à cette explication. 

— Qu'est-ce qui te tracasse vraiment ? finit par demander la principauté. La sphère des navigateurs non ? C'est-ce qu'il y a de plus tracassant ici. Ne t'en fais pas pour ça, on va les libérer, nos chers chérubins-navigateurs. Ceux qui sont là-dedans sont des costauds, els sont encore en vie, je le sens. 

— Tu as raison. Je pense qu'on y arrivera, dit Michaël. 

Sasha resta silencieux quelques minutes, observant le Fitzarch sans que ce dernier ne s'en embarrasse. Être admiré par un être aussi beau que Sasha était exquis. 

— Je suis étonné que tu m'apprécie, dit soudain Michaël à la principauté. Je t’ai mal parlé au début…
Sasha leva les sourcils, amusé. 

— Je t'aime bien, c'est vrai, minauda-t-el. 

— Pourquoi ?

— Tu veux que je liste tes qualités ?

— Non… Mais c'est parce que je suis un Fitzarch n'est-ce pas ?
Sasha gloussa. Mais el n'émit pas un rire puéril. Son amusement était doux et plaisant, comme une musique relaxante. 

— J'apprécie ta personnalité, pas ton statut, affirma Sasha. Enfin, je comprends ta question. Dans ma jeunesse, je ne pensais qu'à plaire aux nobl'ailes pour obtenir leur mécénat. Mais… j'ai grandi. Maintenant je ne fréquente que des gens que j'aime réellement. Et sur la scène, je vis pour mon public et non plus pour leurs rois. 

— Quelles sont mes qualités alors ? demanda Michaël.

— Ton courage, répondit Sasha du tac au tac. 

— Ah… 

— Ah ?

Michaël baissa les yeux, soupira.

— Raphaël m'a toujours accusé d'être trop tête brûlée. El m'a même dit que j'étais… suicidaire, parfois, à cause des risques que je prends. 

Ce fut au tour de Sasha de soupirer. 

— C'est vrai que dans le feu de l'action, tu ne sembles avoir peur de rien, dit la principauté. Mais c'est une qualité, je trouve. Les plus grands héros de notre histoire avaient ce courage els aussi. 

Michaël se mordit la lèvre, l'air morose. Sasha posa alors sa tête sur l'épaule du Fitzarch.

— Ce soir, je viendrai de nouveau te voir, décida la principauté.

— Ah… D'accord, souffla Michaël, un sourire animant enfin sa mauvaise mine. 

Michael et Sasha débarquèrent dans la Flèche, suivis par Nana. Els rejoignirent une foule de nobl’ailes, capit’ailes et command’ailes, traversant les grands espaces de la Flèche en direction d’une grande salle de réunion. Michael reconnut parmi els les sous-capit'ailes de Zinebiel, ceux qui s'étaient réfugiés dans la capsule d'évacuation et que Michaël avait sauvé lors de l'assaut de la Flèche.

Alors qu'els s'alignaient devant leur capit'aile, Zinebiel, Michaël surprit chez la domination des signes d'agacement. Zinebiel serra la mâchoire, soupira brusquement par le nez et s'agita, la mine sévère. Les sous-capit'ailes évitèrent de croiser son regard, arborant els-mêmes des signes d'agitation, voire d'inconfort. 

— Bienvenue, salua Zinebiel, reprenant une mine affable. 

La domination invita ses invités à entrer dans la salle de réunion. Les élohim s'installèrent autour d'une immense table ronde, rehaussée d'un hologramme doré représentant le Domitia. Michaël s'installa non loin de Zinebiel et de ses sous-capit'ailes. Nana et Sasha vinrent s’asseoir aux côtés du jeune Fitzarch. 

Parmi tous ces élohim, des dizaines de chérubins étaient déjà présents. Leurs yeux innombrables sondaient les environs. Michaël découvrit parmi els plusieurs chérubins-navigateurs, une dizaine environ, une fraction de ceux initialement présents à bord du Domitia. Ces navigateurs étaient reconnaissables à l'énorme œil sur leur front. Els étaient présents ici car els s'étaient aventurés hors de la Sphère juste avant le confinement, lors de l'attaque initiale des démons du temps. Ainsi, els avaient échappé à l'assaut des démons. 

Leurs collègues, s'els étaient encore vivants, restaient silencieux, prisonniers de la Sphère, probablement occupée par les démons. L'objet de la réunion à venir était la préparation de leur rescousse, qui se profilait depuis plusieurs jours déjà. Ainsi, comme les jours précédents, les discussions stratégiques reprirent. Les puissances et les vertus avaient déjà concocté un plan d'attaque, aidé par l'expertise des chérubins. Els seuls savaient comment la Sphère fonctionnait, comment y entrer, y circuler, et ce qu'il pouvait se passer à l'intérieur dans de telles circonstances. Ainsi, les troupes avaient été formées, la logistique décidée. L'assaut était imminent. Quelques détails importants restaient à traiter. 

— Elvirel ne peut pas mener l'assaut, annonça un notable des vertus du Domitia. Son exploration du vaisseau des démons l'a épuisé. El n'a pas rencontré de forces hostiles lors de son expédition, mais l'environnement céleste l'était, hostile.

— Naturellement, commenta Zinebiel. 

— Je mènerai l'assaut, clama soudain Michaël en se levant. 

Les centaines d'élohim présents autour de la table échangèrent des regards interloqués. Zinebiel brisa leur stupéfaction.

— Je ne sais pas si tu es plus en forme qu'Elvirel, s'amusa la domination. 

— Un de mes cœurs est manquant, c'est vrai, dit Michaël. Mais je suis en excellente condition physique et mentale. Je possède toute l'énergie nécessaire pour mener les troupes de vertus. Grâce à mes pouvoirs de Fitzarch, EL soit loué, je pourrai projeter un filet de lumière conséquent pour permettre la transmission des thaumaturgies sur nos guerriers, puissances et autres.

Michaël ne le remarqua pas, mais Nana, à ses côtés, s'était immobilisé. Appuyée sur l'accoudoir de sa chaise, les yeux écarquillés, la vertu maintenait fermement une main devant sa propre bouche. 

— Je ne pense pas que vous êtes en état de combattre, déclara finalement un des capit'ailes des puissances, qui venait el-même de Hod. L'assaut infiltré que vous avez mené seul à bord de la Flèche était très admirable, dit-el. Mais il vous a laissé gravement blessé. Votre esprit est en forme, de toute évidence, mais votre corps est meurtri.

— Mon objectif n'est pas de combattre de cette manière, expliqua Michaël sans se défiler. Je resterai en support. Je laisserai vos troupes de puissances mener l'assaut pendant que je leur transmettrai des thaumaturgies de soin et de boost. 

— Cela vous fatiguera aussi beaucoup, répondit la puissance, dubitative. Le tissage des filets de lumière, ou de thaumaturgies, implique un effort physique majeur. Tout le monde le sait.

— Même si vous vous sentez en forme initialement, je ne sais pas combien de temps vous pourrez tenir, argua une autre puissance. 

Michaël fronça des sourcils, affichant un certain agacement. 

— J'ai combattu sur les fronts de Malkouth avec l'archange-prince Raphaël el-même, maître d'Ennead, grand ponte de la thaumaturgie. Je sais de quoi je suis capable. 

— Vous resterez en repos, déclama soudain quelqu'un d'autre. 

Michaël chercha du regard celui qui venait de parler et trouva un chérubin-navigateur. Ce dernier n'avait pas pris la peine de se lever avant de s'exprimer. El continua :

— Vous n'êtes pas à la hauteur. 

— Pardon ? dit Michaël. 

— Vous n'êtes pas à la hauteur. 

Michaël serra les dents, son regard gris, perçant, remplit d'offense. La tension autour de la table devint palpable. 

— Vous vous méprenez sur vos capacités, continua le navigateur. Nous avons longuement discuté de l'environnement de la Sphère. C'est un endroit saturé d'une énergie psychique incommensurable, que vous n'avez jamais connu. C'est un endroit hors du temps et de l'espace, sur lesquels vous tissez d'habitude vos filets.

— Je peux apprendre rapidement, dit Michaël. Me préparer à cela. 

— Vous êtes ignorant, Fitzarch, asséna le navigateur d'un ton ferme. Vous auriez dû comprendre, suite à nos explications ces derniers jours, qu'un corps meurtrit tel que le vôtre ne supporterait pas cet environnement. De plus, la rumeur courre que vous avez déjà perdu le contrôle de vous-même lors de l’assaut de la Flèche. Il est inévitable qu’une telle chose se reproduise si vous participez à celui de la Sphère. Vous resterez donc hors de ce combat. 

Michael croisa brièvement le regard de Sasha. El y trouva de la compassion, mais pas la moindre trace d'encouragement. Alors el regarda Zinebiel, dont la mine était restée imperturbée. 

— Ce navigateur a raison Michaël, déclara le capit'aile du Domitia. Nous admirons tous tes exploits récents et ta volonté de combattre. Tu nous as tous sauvés, moi en premier et tu as notre reconnaissance éternelle. Mais il est évident que tu ne peux plus combattre ou tisser pour le moment. Tu dois te reposer, te soigner. Et par la suite, tu seras suffisamment fort pour combattre à Guebourah. 

— Mais...

— Nos troupes, celles du Domitia et celles passagères ici, sont assez fortes pour reprendre la Sphère sans tes grands pouvoirs de Fitzarch. Aie confiance en nous. 
Michaël déglutit, ses lèvres soudain scellées. El ne put plus rien dire, ni même respirer. El se laissa tomber sur sa chaise et ne bougea plus d'un cil. À ses côtés, Nana sortit enfin de sa propre paralysie pour attraper le bras du jeune Fitzarch. 

— Allons, Michaël, tu ne penses tout de même pas que tout repose sur tes ailes, n’est-ce pas ? ironisa-t-elle. Els vont s’en sortir sans toi, je te le promets.

L’assaut commença le lendemain. Les élohim s’élancèrent par millions vers la Sphère. Une armée de vertus et de puissances s’exposant au danger pour empêcher les démons d’arrêter le temps. Els furent accompagnés par des nuées d’ophanim, qui scrutaient les vibrations de l’espace-temps pour anticiper l’intrusion de démons. L’assaut se déroula similairement à celui de la Flèche. Les démons tentèrent quelques attaques, firent des milliers de victimes. Mais la masse des courageux élohim parvint à la Sphère, et pénétra à l’intérieur. 

Michael, Sasha et Nana suivirent l’assaut sur l’hologramme de la salle stratégique de la Flèche, en compagnie de Zinebiel et de ses sous-capit’ailes. Leur souffle se coupa lorsque les élohim pénétrèrent dans la Sphère…pour ne plus en ressortir. Une demi-journée passé, puis une journée entière, sans que rien ne se passe. Échangeant sans cesse avec ses conseillers, lorsqu’el ne lisait pas entre les étoiles, Zinebiel finit par quitter la salle stratégique en direction du poste d’écoute sécurisé. Michael trépigna, frustré de ne pas pouvoir le suivre.

— Pourquoi els ne ressortent pas ? demandait sans cesse le jeune Fitzarch.

— Un combat doit avoir lieu à l’intérieur, supposa Sasha, qui essayait d’apaiser son amant. Mais je suis sûr que les élohim prévalent. Els sont si nombreux… Les démons ne peuvent résister. 

— C’est une boite noire, dit Nana. Aucune information ne sort. Ça sent pas bon. 

Michael se leva, incapable de rester immobile une seconde de plus. Le jeune Fitzarch sentait tout son corps pulser. Ses jambes lui hurlaient de marcher, ses ailes de voler, à la rescousse des élohim dans la Sphère. Mais el ne pouvait pas. Et si le Sang d’Adam reprenait le contrôle ? Et si el tuait des élohim dans sa furie ? Des heures passèrent, sans aucun signe de vie des élohim. L’angoisse de Michael ne fit qu’empirer, si bien que Sasha l’entraîna hors de la salle stratégique. Des vertus tissèrent sur el des thaumaturgies d’apaisement, en vain. 

Michaël tomba au sol, sur la moquette d’un salon adjacent, et s'assied contre le mur incapable de calmer sa respiration. 

— On se calme, dit doucement Nana, accroupit à ses côtés. On respire lentement, len-te-meeeent. 

Le Fitzarch fut incapable de s'apaiser. Sa crise d'angoisse continua, des heures durant. 

— El ne peut pas se calmer, comprit Sasha, qui faisait les cents pas dans la chambre du Fitzarch. 

— El doit se calmer ! insista Nana. El ne peut pas rester comme ça jusqu'à notre arrivée à Guebourah enfin !

— Seule la reprise de la Sphère l'apaisera, expliqua Sasha. 

Michaël regarda son amant, dont le doux regard étaient encore remplis de compassion pour el. Sasha avait el aussi été jugé trop faible pour combattre. El avait dû envoyer ses principautés à l’assaut sans pouvoir les accompagner. Un déchirement. 

— Je suis frustrée moi aussi, expliqua Sasha en déduisant les pensées de Michaël. Mais j'ai confiance en mes collègues principautés. Je sais qu'els peuvent soutenir les troupes efficacement, même si je ne suis pas là. Tu dois accorder cette même confiance aux command'ailes des vertus qui combattent en ce moment même. 

— J'arrive… j'arrive pas… 

— On avait remarqué, ironisa Nana.

— Je… je peux pas me contrôler…

— Tu es une vertu Michaël, rappela Sasha. Le self-control est ta spécialité.

Nana éclata soudain de rire. 

— Il n’y a pas de quoi rire, finit par lâcher Sasha, désemparé. 

— Tout est de ma faute ! clama soudain Michaël en éclatant en sanglots. 

Sasha enlaça le Fitzarch.

— Mais non, dit el. Mais non mon chéri, mais non…

— J’ai brisé le bouclier de la Flèche. Puis la moitié des passagers ont été gravement blessés lors de l’assaut et maintenant… maintenant on envoie l'autre moitié dans l'inconnu. Et je peux pas les aider...

— Ça va aller, ça va aller, répéta tendrement Sasha. 

— Pourquoi tu t’emballes pour ce vaisseau ? râla Nana. On peut toujours évacuer si besoin…

— On ne peut pas évacuer tout le monde, rappela Sasha. Les cieux dehors sont trop dangereux. 

— Qui parle d’évacuer tout le monde ? Il nous suffit de partir nous… 

— Je peux pas abandonner le Domitia ! s’indigna Michael. 

— Si, tu peux, affirma Nana.

— Tout ça s’est ta faute ! accusa alors Michael. C’est à cause de ton Sang d’Adam que j’ai perdu le contrôle ! Et que je peux plus combattre !

— C’est le Sang d’Adam qui t’as permis de venir à bord de ce vaisseau, rappela Nana. Et c’est lui qui t’as permis de survivre à l’assaut de la Flèche. 

Emporté par les émotions, Michael continua dans une panique auto accusatrice. 

— C'est à cause de moi. C'est à cause de moi que les démons sont venus.

— Mais non enfin, pourquoi tu dis ça ? C'est absurde. Les attaques de démons sur des vaisseaux, il y en a tout le temps. C'est pas parce que t'es à bord qu'ils sont venus. 

— Si... Tu... tu sais pas...

— S’il y a quelqu'un à blâmer ici c'est Géhenna, dit soudain Sasha en adressant un regard sévère à Nana, toujours hilare.

— Oh quel bordel, croassa Nana.

— L'assaut sur la Sphère finira bien par se conclure, dit Sasha à Michaël. Je vais rester avec toi jusqu'à ce que ça se termine d'accord ? Allons à ma maison des plaisirs. Tu pourras t’y reposer. 

—  Tu vas encore le foutre dans ton plumard ? s'amusa Nana.

— Non, répondit sèchement Sasha. Je vais l'entourer d'amour et d'apaisement c'est tout. Mon boudoir est aussi fait pour cela. 

— Bien sûr, ria Nana. Bien sûr…

Sasha emporta Michael dans une navette privée. Nana le suivit. L’angoisse de Michael continua. El observa la cité du Domitia défiler sous el. Puis soudain, sans qu’el ne s’en rende compte, un voile noir masqua sa vue.

— Ça y est… el commence à se calmer…

Michael resta dans les vapes un long moment, entre conscience et sommeil. Une indignation puissante pulsait en el. El cru voir la Sphère au-dessus, pulser de ténèbres. El revit Sandalphon chevauchant les élohim-démoniaques. Une vision insensée, une pure hallucination. Et pourtant… le Primogène fondait sur la Sphère, prêt à la dévorer. Notre seule solution. Notre seule issue.

☿ — Traître…

— Non mais je rêve !

Sasha, accompagné de Michaël et de Nana derrière el, fustigea les sous capit'ailes du Domitia. Ces derniers avaient préempté le nid des plaisir pour suivre l’assaut de la Sphère, tout en profitant des délices à disposition.

— Soit vous coupez ça, soit vous retrouvez dans la Flèche pour suivre l'assaut ! C'est clair ?

Les capit'ailes, malgré le charme irrésistible de Sasha, ne réagirent pas vraiment. Gavés de jus de grenade et accompagnés de danseurs dénudés sur leurs genoux, els se contentèrent de ricaner.

— Laisse-les, dit Nana. Els ne dérangent personne.

Les autres élohim présents ne prêtaient en effet pas attention ni aux capit’ailes, ni à l'hologramme. Nombre des visiteurs ici étaient blessés, en convalescence et préféraient profiter des diverses douceurs proposées par les principautés du nid des plaisirs. De toute façon, rien ne se passait sur l'hologramme depuis des heures.

— Retournez dans la Flèche ! insista de nouveau Sasha. Les communications radio sont diffusées là-bas. Qu'est-ce que vous suivez là ?! Vous voyez rien !

— On s'en fiche de leurs blablas, rétorqua un des capit’ailes. On attend juste de voir si els ressortent ou non. 

— Vous êtes fous ?! s'indigna Sasha. Sortez ! Sortez de mon nid !

— C'est notre nid, principauté. Tu n'es qu'un invité ici, par la grâce de Zinebiel. 

La colère de Sasha explosa. El se fritta avec l'un des nobl'ailes dans un combat verbal qui s'éternisa. Michaël, le cœur encore battant, resta silencieux, figé sur un divan, pendant que Nana vidait d'une traite une bouteille de jus de grenade. À force de ne rien faire, Michaël remarqua quelque chose d'étrange. Les sous-capit'ailes ne cessaient de chuchoter entre els, leurs mines étrangement figées, leurs halos monotones. Dans le réseau EL, les conversations privées entre ces nobl'ailes fusaient. Michaël pouvait voir leur forte lumière, sans pouvoir les décrypter. 

Els cachent leurs émotions et leurs échanges. Els mijotent quelque chose…comprit Michaël. 

Peu à peu, les nobl'ailes se levèrent, faisant des allers-retours entre le salon principal et les alcôves à l'arrière. Sasha disparu à son tour avec plusieurs de ces nobl'ailes, qui après une heure et demie, étaient presque tous partis.

— L'assaut s'éternise vraiment, susurra Nana. Les sous-capit’ailes ont perdu espoir et viennent passer leurs dernières heures dans le stupre…

À moitié assommé par le jus de grenade, la vertu de Géhenna ronflait sur le divan, à côté de Michaël. 

— Ça va mieux ? demanda l'espion.

— Ma crise d'angoisse s'est calmée, dit Michaël, qui se sentait tout dégonflé. 

— C'est bien...

— Je peux aller faire un tour dans les alcôves ? J'ai besoin de prendre l'air dans... dans un faux paysage...

Nana sourit. 

— Oui, tant que tu reviens dans un délai raisonnable, accepta la vertu. 

— Promis.

— Tu as ma bénédictioooon, marmonna Nana avant de ronfler de nouveau. 

Michaël se leva et jeta un regard à son compère. Le jus de grenade l'avait rendu incapable de se lever. La voie était libre. Un sacré coup de chance. 

Espion en toc...

Discrètement, Michaël suivit un des capit'ailes vers l'arrière du nid des plaisirs. El vit que ce dernier ne se dirigeait pas vers les alcôves du tout. En vérité, l'éloha s'enfonça dans un étage inférieur, descendant dans un puits caché derrière un rideau pour s'y rendre. Un hangar d'une centaine de mètres carrés, bas de plafond, se cachait là, sous le club. Une série de dix navettes inter-célestes étaient garées là. Michaël resta figé d'étonnement face à ces véhicules haut de gamme, à la pointe de la technologie élohienne. En effet, rares étaient les petits vaisseaux capables de circuler entre les royaumes. En général, un équipage de pilotes et de navigateur conséquent, tel que celui du Domitia, était nécessaire à ces voyages risqués et techniquement très complexes. L'éloha se retourna soudain, adressant un regard entendu à Michaël. Ce dernier sursauta, effrayé à l'idée de se faire prendre en train de fouiner. Mais le nobl'aile s'approcha en souriant. 

— Venez votre altesse, dit-el en invitant le jeune Fitzarch à le suivre. 

Michaël coopéra, s'efforçant de faire comme si tout cela était parfaitement normal. L'éloha l'emmena à l'intérieur d'une cabine, sur le côté du hangar. Là se trouvaient de grosses machines de cristal, qui donnaient accès aux différents systèmes qui régissaient le lieu. Chaque nobl'aile passait par là pour inscrire télépathiquement quelque chose dans ces machines. Puis juste après, els montaient dans les navettes, y prenant place, attachant même leurs ceintures de sécurité. 

Oh... comprit Michaël. D'accord...

— On y va du coup ? demanda simplement Michaël à celui qui l'accompagnait. 

— Oui, répondit ce dernier. C'est triste mais le Domitia est condamné. Même si on arrive jusqu'à Guebourah, les capteurs qu'els ont à la frontière détecteront la trace des ténèbres. On sera atomisés par leurs systèmes de défense. 

— Ah, soupira Michaël. C'est clair… 

— Zinebiel veut couler avec son vaisseau, comme tout bon capit'aile, ironisa l'éloha, qui était (comme son patron) une domination. Mais vous, Fitzarch, vous savez ce que vous valez. 
Michaël leva les sourcils, l'air assuré.

— Oui, dit-el. Je ne peux pas sacrifier ma vie pour la gloire ou l'honneur, dit-el. Ma responsabilité est de préserver ma graine, pour la longévité des Cieux. 

Le nobl'aile sourit et invita Michaël à renseigner quelque chose dans la machine.

— Allez-y en premier, demanda le Fitzarch. Que je vois comment vous faites exactement. J'ai jamais utilisé ce genre de protocole. D'habitude, on le fait pour moi. 

Le nobl'aile ria et fit ce qu'el avait à faire. Puis el sortit pour se diriger vers l'un des vaisseaux. Michaël se pencha à son tour sur le système. La machine était un ordinateur classique, équipé d'un simple assistant de voyage intelligent qui désignait le vaisseau dans lequel embarquer en fonction de sa destination. Chaque éloha qui voulait embarquer rentrait sa signature lumineuse, sa destination et obtenait une place dans un des vaisseaux. Les systèmes de ces derniers se paramétraient alors automatiquement pour "naviguer" correctement dans l'espace inter-céleste, sans avoir nécessairement besoin d'un chérubin-navigateur, jusqu’à atteindre un portail qui les téléporterait dans leur royaume de destination. Cette technologie était en général propre aux capsules d’évacuation, mais bien connue de Michaël, qui avait déjà géré ce genre d'évènements en tant que vertu militante. 

Michaël renseigna ses informations puis releva le regard pour observer les alentours. El vit alors Sasha, recroquevillé dans un coin. Que faisait la principauté ici ? Elle l’avait suivi ? Michaël alla immédiatement la rejoindre. C'était au tour de Sasha de faire une crise d'angoisse, noyée de sanglots. 

— Tu veux partir ? lui demanda Michaël en chuchotant. 

Sasha secoua brusquement la tête pour dire non, sa mine crispée par le dégoût. El observa Michaël et plongea son regard dans celui du Fitzarch. Son visage se décomposa alors. El vit que le regard de Michaël était comme effacé, bien que quelque chose, el ne sut comment se le décrire, brillait dans ses iris gris et perçants. La principauté fut transie de peur, tremblant soudainement. 

— Lève-toi et remonte, ordonna Michaël d'une voix parfaitement sereine. 
Sasha, tremblotant, s'exécuta. Michaël retourna dans la cabine de contrôle. El ferma sa porte et prit la parole télépathiquement, dans le réseau EL.

— Hey, chers collègues. Certains d'entre vous sont montés dans le mauvais vaisseau, appela-t-el en souriant. C'est une destination par vaisseau les amis. Je sais que vous voulez voyager entre potes mais si vous n’avez pas la même destination, ça va être compliqué. 

Les nobl'ailes rirent à leur tour, bien que certains râlèrent. Els durent tous détacher leurs ceintures, descendre des vaisseaux pour se rendre dans la cabine. Mais dès qu'els posèrent un pied dehors, Michaël appuya sur un gros bouton rouge, placé au beau milieu d'un tableau de bord. Les portes du hangar s'ouvrirent brusquement. En une milliseconde, les dizaines de nobl'ailes présents furent aspirés par le cosmos. Puis, toujours souriant, Michaël referma les portes, sortit de sa cabine et remonta dans le nid des plaisirs.

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