Michaël se réveilla dans un univers de douceur. Une literie de soie émeraude l’enveloppait, accompagnée d’un parfum de myrtille et de muguet. Au-dessus, les épines de pins maritimes bruissaient dans la brise, sous un ciel bleu azur. Michaël, comblé, s’étira puis se redressa, ajustant son peignoir. Ses pieds s’enfoncèrent dans une moquette brune, qui couvrait la terre et les racines qui la sinuaient.
La chambre de Sasha avait de toute évidence été construite par un archange bâtisseur. Elle se situait dans une petite forêt, face à une plaine décorée de monolithes gris. Non loin, l’océan portrait son écume sur une plage d’un sable blanc éclatant.
Sasha émergea de l’océan, les bras chargés d’un grand plateau. El rejoignit Michaël sur le lit et lui présenta un sublime petit déjeuner. Il y avait des rouleaux de riz parfumés, enveloppés de feuilles de vigne, des sablés salés en forme d’étoiles de mers et des petites boules-de-beurre très sucrées. Tous ces mets étaient faits d’ambroisie, mais chacun avait un goût bien différent.
— C’est délicieux, s’étonna Michaël en goutant.
— C’est moi qui les fais, révéla Sasha, radiant de beauté.
La surprise de Michaël grandit. Ces bouchées étaient presque aussi bonnes que celles préparées dans les cuisines d’Ennead ou de la Cour de Hod par les plus grands principautés-chefs du royaume.
— Ce sont des spécialités de Netzach n’est-ce pas ? devina Michaël.
— Oui. Du duché d’Ormuz, plus précisément. C’est de là que je viens.
— Oh, le duché côtier, les voisins terrestres des élohim océaniques, se rappela Michaël. J’ai vu bien des photos de ce pays. Les pins, la mer. Je comprends mieux l’apparence de ta chambre.
Sasha acquiesça en riant, ce qui fit rougir Michaël, qui luttait difficilement pour ne pas rester scotché face au charme de son amant. El partagea le déjeuner avec el, sur le lit.
— Comment une principauté d’Ormuz a-t-el finit par travailler sur un vaisseau de transport hodien ?
— C'est une longue histoire, dit Sasha. Disons que j'ai rebondi d'amant en amant jusqu'à arriver ici.
— Quoi ? s'étonna Michaël. J'ai du mal à comprendre comment on peut vouloir quitter Netzach pour un amant...
— J'ai rencontré Zinebiel lors d'un évènement à Tophana. J'y donnais un spectacle lors d'une tournée intercéleste, expliqua Sasha.
— Oh... Zinebiel et toi...
— Non, non, ria Sasha. En vérité nous nous sommes aimés tout de suite mais seulement en tant qu'amis. Je ne sais pas comment l'expliquer mais... EL a fait de nous des âmes sœurs en quelques sorte. Alors j'ai laissé derrière moi ma tournée et j'ai décidé de le suivre dans ses voyages à bord du Domitia. À présent, je divertis les passagers, souvent des troupes qui partent en guerre contre les démons. J'essaye de leur faire oublier cela quelques heures. Je me sens utile, très utile.
— Tu l'es, c'est-certain, sourit Michaël.
La jeune vertu cacha un malaise grandissant. El n'avait pas envisagé que Sasha connaisse Zinebiel. Et si la principauté l'avait reconnu ? Si el l'avait livré au capitaine ?
— Je vais prendre une douche, dit soudain Michaël.
— Allons-y, sourit Sasha.
— Non, je préfère y aller seul.
— Ah ? Très bien... Tu trouveras une cascade d'eau fraiche dans cette direction, dit Sasha. Tu peux aussi te baigner dans l'océan si tu veux.
Michaël sourit et suivit la direction indiquée pour arriver devant un petit lac bordé de roches, desquelles coulait une cascade d'eau cristalline. Michaël entra dans l'eau et savoura sa chaleur. Tout son corps se dénoua alors que les courants massaient ses muscles, ses articulations. El plongea ses ailes dans l'eau et nagea un petit peu. El vit alors un renfoncement lumineux dans la roche. Intrigué, el s'approcha et découvrit un petit autel dédié au Chanteur Merveille, primordieu et ancêtre des principautés. L'autel comportait un portrait du Chanteur, posant lascivement sur un divan, dévoilant toute la beauté de ses longs cheveux émeraude. Tout autour, des lueurs vertes et dorées brillaient, colorant l'air autour d'elles. Fasciné, Michaël adressa une petite prière au primordieu.
Michaël sentit soudain ses yeux se remplir de larmes. El déglutit, pris de court par cette émotion venue de nulle part. El recula et sortit de l'eau. Dans 'un haut le cœur, el régurgita soudainement son purgeon.
— Oh par EL...
Michaël se rhabilla et retourna auprès de Sasha, prêt à recevoir du réconfort. Mais el retrouva la principauté dans le lit, l'akshoka à la main.
— Que fais-tu ? demanda Michaël d'un ton hostile et brusque.
— J’observe ton bel artefact. Qu’est-ce que c’est ?
— Tu n’as pas à le savoir. Tu voles tes clients souvent comme ça ?
— Mais non voyons, je ne t’ai pas volé !
— Tu es trop curieux alors.
Michaël déploya un filet de lumière et recaptura l'akshoka. Face à ce geste étrange, Sasha leva les yeux au ciel. La colère s'empara alors de Michaël.
— Ce n’est pas la première fois que je me tape une petite diva de bordel comme toi tu sais. Vous fourrez votre nez partout pour découvrir des potins, la seule chose qui vous fait encore bander, avec tout ce que vous prenez dans le derrière.
Sasha ne se laissa pas déstabiliser une seule seconde.
— Ce n’est pas la première fois que je me tape un petit nobl’aile arrogant comme toi tu sais ? répliqua la principauté.
Michaël se figea.
— Je ne suis pas un nobl'aile, dit el.
Sasha ria.
— Tu crois que je ne t’ai pas reconnu ?! Tu es Michaël Fitzarch !
Michaël serra les dents.
— Et tu es avec ce fichu Nana de Géhenna là, continua Sasha. Je suis familier des sorts impies utilisés par Vilanel pour déguiser son cargo. Ce n'est pas la première fois qu'el utilise mon établissement pour faire passer ses magouilles. Alors que Zineb et moi lui avons interdit de faire une telle chose. Fini les magouilles dans le Domitia ! Fini ! Hors de question d'avoir encore des inquisiteurs sur notre dos à cause de vous !
Michaël soupira, sans rien dire. Sasha secoua la tête, son regard remplit de dégoût.
— Vous les nobl'ailes vous permettez d’utiliser des pauvres peupl’ailes comme nous sans le moindre scrupule.
— Les peupl'ailes servent les intérêts de leurs souverains, c'est comme ça, dit sèchement Michaël. C'est EL qui l'a voulu. Cela fait partie du Grand Dessein.
— C'est nous qui sommes punis pour vos méfaits ! s'indigna Sasha. Zineb a failli perdre sa place à la capitainerie, son vaisseau, après ce que Géhenna a fait transiter via le Domitia ! Mais tu ne t'en rends même pas compte n'est-ce pas ? Tu t'en fiches !
— Oui, je m'en fiche. J'ai d'autres problèmes à surmonter. Tu crois que ma position est plus confortable que la tienne ?
— Oui ! Tu as le contrôle !
— Ah ! Et toi non ?
— Non ! Il suffit d'une décision prise par une domination perchée dans les tours du Sanctuaire de Kokab pour que je perde tout, ma chorale, mon club, mon vaisseau. Du jour au lendemain je peux être envoyé à l'autre bout des Cieux, voire sur le front de l'Abysse, sans même savoir pourquoi !
— Pauvre chou, fit Michaël. Enfin, ces griefs ne t'ont pas empêché de t'amuser avec moi, un vilain nobl'aile que tu as reconnu dès le début apparemment.
— Je n'ai pas eu le choix, dit Sasha. Je ne prévoyais que de te garder jusqu'à ce que les puissances de Hod viennent te chercher. Mais ça fait trois jours que le confinement a commencé et…
— Trois jours ? s'étonna Michaël.
— Oui.
— Ça fait trois jours que le confinement a commencé ? demanda à nouveau la vertu, les yeux grand ouverts par l'horreur.
— Oui ! Enfin, soixante-douze heures standard à peu près. Et ça fait aussi presque trois jours que tu es dans notre maison des plaisirs. Et ça fait trois jours que nous avons prévenu la capitainerie de ta présence ici mais… Une vibration passa soudain sous les pieds nus de Michaël. Les pins maritimes tremblèrent, l'océan non loin s'agita de grosses vagues. Même le lit de Sasha se mit à tressauter.
— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Michaël. Des turbulences ?
— Non, soupira Sasha. C'est beaucoup trop fort.
Soudain, le noir.
Sasha cria. Michaël se jeta sur le lit pour se tenir auprès d'el. Le soleil qui illuminait le domaine de la principauté avait disparu. Cela ne pouvait venir que d'une panne de lumière dans le vaisseau.
— Trois jours, susurra Michaël. Trois jours sans nouvelles et tu ne t'es pas inquiété ? Les puissances auraient dû débarquer dans la minute après ta dénonciation.
— Je ne... je sais plus... fit Sasha.
— Quelque chose de grave se passe dehors, souffla Michaël.
Les tremblements continuèrent, pour devenir un véritable séisme. Michaël et Sasha s'accrochèrent à leurs draps.
— Tu ne trouves pas que l’intrigue tourne un peu en rond ? dit soudain la principauté.
— Quoi ?
— Tout se passe comme dans le chapitre précédent, dit Sasha. Tu te fais remarquer. Tu te fais inviter et on t’annonce que tu es démasqué. Les forces de l’ordre ont été appelées. Tu dois fuir. Et puis soudain, ton complice débarque…
Michaël tenta de discerner le visage de Sasha dans l'obscurité. Ses traits étaient à peine dessinés par les lueurs d'ambiance qui entouraient le lit. Voilà qu’après un étrange passage du temps, une simple principauté brisait le quatrième mur. Quelque chose, ou quelqu’un perturbait l’espace-temps. Dans un éclair surgit du néant, Michaël entrevit le visage de Burrhus. En un bon, el recula et fuit dans la forêt des pins, alors qu'un orage tonnait dans le ciel artificiel.
— Nana ! appela Michaël.
La vertu revint soudain sur ses pas et retomba sur le petit lac. El se pencha par-dessus, priant pour l'apparition d'un reflet sur la surface de l'eau. Mais les tremblements et l'orage la troublaient. Michaël se précipita sur l'autel du Chanteur Merveille et démonta son portrait. La plaque de verre qui le protégeait pouvait réfléchir la lumière des orbes décoratives. Un instant plus tard, Nana était là.
— Ça va ? Tu t'es bien amusé ? s'énerva l'agent de Géhenna dès qu'el débarqua.
Michaël voulu répondre, mais Sasha apparut à son tour, entre les arbres.
— Ça se répète, dit-el. Les lecteurs vont se lasser, il est temps d’avancer.
Sur ces mots, un craquement de fin du monde résonna. Les élohim se jetèrent au sol. Une déchirure assourdissante retentit dans l'univers et la lumière fut. Fini la forêt plongée dans la nuit. Michaël vit un morceau énorme du vaisseau, du Domitia, se décrocher et valdinguer dans l'espace, dévoilant un ciel azur.
— TITANIC ! hurla Nana.
L'agent, la vertu et la principauté furent cueillis par le vent et aspirés par la brèche. Mais alors que leur fin approchait, une nouvelle vibration parcourut l'espace-temps, traversant leurs corps et leurs esprits. Les trois élohim retombèrent brusquement au sol.
— Boucliers, fit Nana dans un soupir d'agonie, mais aussi de soulagement.
Michaël haletant, se redressa maladroitement. El vit Sasha, dont le beau visage était transi d'horreur, et revint auprès d'el.
☿
Dans le club, la joyeuse débauche avait laissé place à un mouvement de pure panique. Les portes de sorties du domaine étaient toujours verrouillées, emprisonnant les fêtards dans une prison à ciel ouvert, donnant sur le néant de l'espace inter céleste.
De toutes évidence, le Domitia avait quitté la route du Pendu et s’était retrouvé au beau milieu de nulle part. Il n’était pas ni dans un royaume, ni sur une route, mais quelque part perdu dans l’Olam Ha Yetzirah, ciel infini. Ici, aucune chance de se balader à tire-d’aile. Le tissu de la Création crépitait, se déchirait, se rassemblait, dans des marées cosmiques. Des jets d'informations indéchiffrables s'abattaient tout autour sous la forme d'éclairs aveuglants et assourdissants.
— Du calme ! s'égosillait Sasha.
La principauté faisait luire son halo très fort pour captiver les élohim, détourner leur attention. Mais dans une telle situation, cela ne fonctionna pas. Les quelques dizaines de puissances qui assuraient la sécurité du club ne purent rien faire non plus.
Alors que les élohim succombaient de terreur face aux espaces infinis de la Création, quelque chose apparut sur le côté gauche de la brèche. Michaël le vit du coin de l'œil et cligna les yeux, pensant être victime d'une anomalie visuelle causée par la peur. Mais non. Une masse noire. Un objet, une frontière, un nouveau ciel ? Quelque chose de noir et vaporeux se profilait dans le cosmos et recouvrait peu à peu le ciel azur. Michaël observa sa structure brumeuse, où des formes sombres émergeaient avant de replonger. Michaël s'approcha sous les cris de Nana, qui ne parvint pas à retenir le prince. La structure noire s'étendait à perte de vue, vers l'infini. Michaël comprit enfin ce qu'el voyait.
— Boaz…
— Le pilier du Jugement ! s'exclamèrent les élohim.
— Le vaisseau dérive vers le pilier ! s'exclama Nana.
— Nous ne devrions pas être aussi proches de cette chose ! affirma Sasha. Zinebiel m’en a souvent parlé. Ce n’est pas en rentrant dedans que nous rejoindrons la route du Pendu. Sa gravité va nous avaler et nous détruire ! Michaël resta béat face à l’ampleur de la situation. Que se passait-il ? Comment le Domitia avait-il pu se retrouver hors du pilier ? Hors de la route du Pendu ? Avait-il été téléporté ? Le vaisseau n'était-il plus contrôlé ?
— Quelque chose est arrivé aux navigateurs, comprit Michaël. Le jeune prince garda sa voix basse pour ne pas encourager la panique des autres élohim.
— Il faut qu'on sorte d'ici, marmonna-t-el à l'oreille de Nana.
La vertu approuva. Sasha suivit les clandestins vers la sortie, qu'un groupe d'élohim s'efforçait d'ouvrir, en vain. Des vertus utilisèrent des thaumaturgies de déverrouillage sur la serrure cristallines. D'autres renforcèrent leur propre corps pour tenter de simplement défoncer la porte.
— Laissez-moi faire, dit Michaël.
Nana lui envoya un regard chargé d'un avertissement.
— On n'a pas le choix, chuchota Michaël.
La jeune vertu plaça ses doigts graciles sur son propre torse et commença à tisser. El sentit son corps se transformer de l'intérieur. Ses os s'alourdirent, ses muscles gonflèrent pour devenir durs comme du roc. Ainsi el tissa une thaumaturgie de force, élaborée par Raphaël en personne. Les élohim observèrent celui qu'el croyait être une simple vertu se transformer en colosse, plus fort qu'une puissance. Mais ce fut son filet d’or, aux mailles aussi complexes que sublimes, qui le trahirent en premier, révélant son immense pouvoir. Michaël recula.
— Trois, deux, un !
El fonça sur la porte pour la défoncer. Un choc assourdissant retentit. Les élohim hurlèrent.
— Trois, deux, un !
La porte se plia dans un grincement strident. Mais le verrou résista. Nana secoua les bras en criant de rage, alors que son protégé se démasquait.
— TROIS, DEUX, UN !
BAM ! La porte fut projetée dans la rue. Michaël pria pour qu'aucun élohim ne se soit tenu là. Mais non. À l'extérieur du club, dans le vaste espace du Domitia, il n'y avait personne. Aucun éloha ne volait sous le ciel artificiel, qui affichait un soleil couchant, une presque nuit annonciatrice de ténèbres. Personne ne circulait entre les bâtiments, les tours, au-dessus des jardins et des bassins. Michaël leva les yeux et vit les six piliers du vaisseau dénués de leurs population habituellement fourmillante. Au centre, la sphère navigatrice flottait dans le silence. Plus loin, la flèche était tout aussi paisible. Le confinement se poursuivait, alors qu'à sa gauche, Michaël observa de nouveau la brèche béante dans le ciel artificiel du Domitia, laissant voir au-dehors le cosmos inter céleste, le pilier du Jugement.
Le calme ambiant ne dura pas. Tous les clubbeurs, libérés, délivrés, se déversèrent dans l'endroit et volèrent dans tous les sens. Michaël quant à el, tomba soudain en avant et retrouva à quatre pattes au sol. Nana se précipita à ses côtés.
Phosphoros…
— Qu'as-tu dit ? demanda Michaël, l'air hagard.
— Hein ? fit Nana.
— Tu m'as dit quoi là ? J'ai entendu !
— J'ai rien dit !
Michaël voulu se redresser, sa thaumaturgie de force s'effaçant déjà. Mais un vertige le maintint au sol quelques instants. Des orbes rouges dansèrent devant ses yeux. Des chuchotements résonnèrent dans son esprit. Venaient-ils du réseau ? Des alentours ? Ou n'étaient-ils que des hallucinations ?
Révèle-toi... Révèle-toi...
Nana s'énerva et traîna Michaël dans la rue, passant devant la devanture de nombreux clubs, salles de concert, théâtres, où des milliers d'élohim étaient encore prisonniers. Après quelques minutes de galère, la vertu de Géhenna, aidée par Sasha, repéra un attroupement autour d'un terminal cristallin.
— Le réseau EL est coupé. Nos esprits ne peuvent dépasser les murs, disait un chérubin parmi les élohim présents.
Nana le bouscula sans ménagement et projeta son halo pour pénétrer dans le réseau EL local. Étrangement, les élohim le laissèrent faire. Mais au bout de quelques minutes, Nana poussa un juron.
— Mes accès ont été révoqués, pesta-t-el.
— La brèche que Géhenna avait trouvée pour s'infiltrer a simplement été comblée, expliqua Sasha.
— Connecte-toi donc ! ordonna alors Nana.
Sasha tenta sa chance, sans succès.
— Quelque chose bloque mes accès à moi aussi, dit la principauté. Il y a comme un pare-feu qui confine les données. Ça doit être un protocole de sécurisation…
— C’est absurde ! pesta Nana.
Révèle-toi, Fitz...phoros.
Alors que Nana s’énervait encore, Michaël cligna des paupières, tentant en vain de se débarrasser des iris rouges qui l'aveuglaient. Une colère monta en el. Agacé par les plaintes de Nana, Michaël se redressa et entra dans le terminal. Là, el fit face à un menu lui demandant la signature luminique de son halo, unique à chaque éloha.
Un bruit sourd résonna alors tout autour.
Michaël cligna des yeux et fut pris d’un léger vertige. El tourna légèrement la tête et vit alors que tous les élohim attroupés ici étaient maintenant au sol. Peu à peu, els se relevaient, hébétés. Qu’est-ce qui se passe ? se demanda Michaël. Étaient-els tombés ? Un sort les avaient-els frappé ? Des turbulences encore, ou une thaumaturgie calmante un peu brutale peut-être ? Œuvre d'un bon samaritain, ou de la capitainerie, pour maîtriser les élohim qui défiaient les ordres de confinement.
“Révèle-toi”
“Révèle-toi”
Michaël reporta son attention sur le cristal. Par la force de son esprit, el altéra la lumière de son halo pour tenter de se connecter, en vain.
CONNEXION REFUSÉE - ACCÈS NON AUTORISÉ
— Le Domitia est-il bien un vaisseau de Hod ? demanda Michaël.
— Oui ! lui répondit-on. C’est le H O D Domitia votre altesse !
— Je devrais pouvoir me connecter alors ! clama Michaël. J’ai des accès stratégiques à tous les systèmes du royaume !
Mais là, ça ne marchait pas. Michaël trépigna. El devait intervenir, d’urgence. C’était surement son déguisement, et ce stupide sang d’EL, qui l’empêchait de se connecter.
“Révèle-toi”
“Révèle-toi, Phopos-arch”
— Par EL ! cracha Michaël. Quelqu’un a un couteau ? Un couteau !?
Les élohim hagards échangèrent des paroles stridentes et agitées. Els s’agglutinèrent autour de Michaël, à qui on finit par donner une lame artisanale, sublimement décorée de morceaux de jade orange. Michaël tendit le bras et s’ouvrit les veines.
— Non ! NON ! hurla Nana en se jetant sur le jeune prince.
Mais il était trop tard. Sous la lame, le sang rouge jaillit des plaies de Michaël. El soupira de soulagement en voyant le liquide étrange que Vilanel lui avait fait ingurgiter se répandre au sol à une vitesse folle. Mais bien vite, el fut de nouveau pris d’un vertige et retomba à genoux. Nana se mit à hurler des choses incompréhensibles en tentant en vain de refermer les plaies du jeune prince.
— Il lui faut une transfusion ! s’exclama une vertu.
— Non ! Cela va brouiller son halo et el ne pourra pas se connecter au poste ! répliqua un autre éloha, qui sembla comprendre ce qu’il se passait.
— Je suis Michaël Fitzarch ! révéla Michaël. Je dois retrouver mon sang, ma lumière, pour accéder au réseau interne et nous tirer de là.
Les élohim se mirent à tous parler en même temps. Mais soudain...
BOOM ! BOOM ! BOOM !
Des explosions retentirent au loin. La panique regagna les élohim. Mais un petit groupe de vertu garda son calme et s'approcha de Michaël. Els vinrent tisser sur le jeune prince une thaumaturgie médicale qui décupla sa production d’ichor. Ses veines refermées se remplirent de sang doré. Son halo de cuivre disparu au profit d’une sublime couronne d’argent. Sa lumière redevint mauve et retrouva sa brillance aveuglante.
— Par EL ! Espèce de traître ! continuait d’hurler Nana.
Michaël retrouva son corps, son énergie et se leva. Son esprit à présent plus clair pensa cependant aux conséquences de ce qu’el venait de faire. El sentit ses rêves de gloire à Guebourah s’envoler. Mais el n'avait pas eu le choix. Quelque chose de très grave se tramait dans ce vaisseau. Michaël retenta de se connecter au réseau du Domitia.
CONNEXION REFUSÉE - ACCÈS NON AUTORISÉ
— Els m’ont radié des droits d’accès, comprit Michaël, qui s'y attendait.
— Ha ! ria Nana. Tu viens de cramer ta couverture pour rien espèce de gros débile ! Le jeune prince poussa un râle énervé. Non pas pour rien. Ce ne doit pas être pour rien. El se repencha sur le cristal. Pourquoi ce black-out du réseau global ? C'est comme à Sicad, réalisa le jeune prince. El se souvint des paroles de Nakirée, du sabotage causé par Burrhus sur la petite planète, qu’el avait livré aux démons. Le monstre est de retour…
Alors que Michaël analysait la console de cristal, Nana laissa sa rage déborder. Pour un espion de Géhenna, el n'était pas très professionnel.
— On est dans la merde ! Espèce de traître !
— Arrêtez-le, grogna Michaël.
Des puissances, les gardes qui travaillaient au club de Sasha, avec l'accord de leur patron, attrapèrent alors Nana et le bâillonnèrent pour le faire taire. Michaël, haletant, souffla et sortit de sa poche l’akshoka. Nana avait dit qu’il s’agissait d’un puissant catalyseur thaumaturgique. C’était le moment de mettre cela à l’épreuve.
— Un pare-feu bloque les données ? Eh bien, je vais le faire exploser, clama Michaël.
Le jeune Fitzarch projeta la lumière sur le halo de l’akshoka. Ce dernier tint sa promesse et décupla sa puissance. Michaël se concentra sur le système du Domitia, qui céda sous la lumière.
Tout s’éteignit, alors qu’une nouvelle Brisure déchirait la Création.
☿
— Sandalphon ?
Michaël rouvrit les yeux et se retrouva plongé dans un univers de noirceur. El entendit une voix d’azoha.— Sandalphon, mon fils, qu’as-tu fait ?
— Mère ? Je… je tente de te contacter depuis des semaines ! Aliciel m’a trahit et a communiqué ton emplacement à Père. Une flotte éléite se prépare à…
— Sandalphon ! C’est toi qui as piraté la matrice d’Éden ?!
— Oui ! Mais…
— Tu as brisé Éden ! Une brèche béante est ouverte dans la séphira de Malkouth. Tu as brisé toutes nos défenses !
— Mère…
— TRAÎTRE !
Soudain, la lumière revint. Michael sursauta, comme tiré d’un songe. Revenant brusquement au présent, Michael vit le plan du HOD Domitia se révéler sous ses yeux. El pu voir tous les compartiments du vaisseau, et dans chacun des milliers de halos. La majorité des troupes étaient agglutinées dans leurs cabines, enfermées. En voyant les alertes en cours défiler dans le terminal, Michaël comprit que tout était en place pour une éjection
d’urgence des cabines, qui en un éclair, repartiraient vers Kokab. Pourtant, tout restait figé. Michaël se connecta alors au réseau des ophanim qui gardaient l’extérieur. Les cieux étaient clairs. Boaz, le pilier du jugement, était toujours là. Aucune trace de ténèbres à l’horizon. Michaël secoua la tête, soupira. El sonda alors le poste du commandement du vaisseau, où Zinebiel l'avait confronté trois jours auparavant. Les quelques centaines de halos qui l’habitaient ne bougeaient pas d’un iota. Michaël tenta de les contacter.
— Allô ? Allô ? Ici Michaël Fitzarch, les systèmes d’évac sont enclenchés mais rien ne se passe…
— C’est un exercice. Veuillez ne pas quitter votre cabine.
— Un exercice ? Mais c’est le bordel là ! La coque du vaisseau s'est ouverte !
— C’est un exercice. Veuillez ne pas quitter votre cabine.
— Mais vous n’avez rien…
— C’est un exercice. Veuillez ne pas quitter votre cabine.
La voix, automatique, ne cessa de répéter cela. Michaël raccrocha, la boule au ventre. D’autres secousses firent vibrer le vaisseau mais sur le plan, rien n’apparaissait, rien ne se déclenchait. Une douleur intense remonta alors dans le crâne de Michaël. Autour d’el, l’espace-temps s’épaissit, se ralentit.
— O-o-o-h n-n-n-n-n-o-o-o-o-o-n-n-n-n-n… soupira la jeune vertu.
Ses mots refusèrent de vraiment quitter ses lèvres et s’étendirent vers l’infini. Son regard exorbité se perdit dans un flou distendu. Mais el vit les lueurs rouges revenir tout autour.
— N-n-n-n-n-o-o-o-o-n-nn, non…
Els étaient une dizaine. Des élohim sombres, sans lumière, couverts d’yeux rouges. Des chérubins ? Non, quelque chose clochait chez eux. Leurs bras à la peau cendrée étaient tendus vers Michaël. Els feulaient dévoilant des crocs acérés.
— Ffffitzarch ! sifflèrent-els.
Michaël, horrifié, voulu reculer. El trébucha en arrière et percuta une vertu. El se retourna, et vit que cette dernière n’avait pas bougé d’un pouce. D’ailleurs, toutes les vertus de la chorale tout autour ne bougeaient plus, figés. L’air ne circulait plus, les cris et clameurs s’étendaient à l’infini. Tout restait suspendu sauf les chérubins, qui encerclèrent Michaël. C’est là qu’el vit les fentes noires qui tranchaient leurs iris rouges.
— Démons ! s’écria Michaël, la mâchoire contrainte par une pression intense. Démons !
Ses cris firent crisser l’univers tout autour. Les étranges démons attrapèrent Michaël de toutes parts.
— Faux chérubins ! cria-t-el en espérant prévenir ses camarades. Démons ! Démons !
Les démons poussèrent à leur tour des cris stridents, aux envolées semblables à celles d’éclats de rire. Els tirèrent Michaël loin du poste cristallin. Lorsqu’el comprit qu’on l’emportait, le jeune prince ouvrit les bras. La lueur de son halo d’argent se démultiplia et el invoqua la lumière d’EL, qui jaillit en une explosion. Les démons-chérubins furent balayés. Els percutèrent les élohim figés si fort que ces derniers s’effondrèrent comme des quilles, brisant un peu le sort qui les paralysait. Mais la plupart finirent figés contre les devantures de la rue.
Michaël ne baissa pas la garde. Déjà d’autres monstres prédateurs surgissaient. Le prince déploya ses ailes. Poussé par l’adrénaline, el brandit ses serres et son couteau. El fondit sur un démon pour lui trancher la gorge. Dans son élan, el trébucha, glissa sur le sol, percuta des élohim figés. El se rattrapa avec maladresse. Mais victoire : la tête du monstre roula au sol. Voyant cela, Michaël se stabilisa et bondit de nouveau pour voler dans les hauteurs. Là-haut, plusieurs démons ailés se jetèrent sur el. El brandit son couteau et de sa main droite trancha encore et encore.
— Écoute le bruit de la lame à travers l’air, dit Raphaël. Sent comme el tranche.
Michaël ne tint pas longtemps sa danse meurtrière. Son corps qui défiait la paralysie de l’espace-temps ploya sous le poids de l’univers. C’est alors que les mots de son mentor vinrent à el, comme un miracle.
— Tends tes serres, tisse, puis coupe. Coupe !
De sa main gauche, entre ses serres graciles, Michaël tissa, lançant son filet sur des dizaines de mètres autour d’el. Puis, clac ! El trancha ! Çà et là, dans de petits points de l’espace, le temps se remit à couler. Les démons-chérubins poussèrent de nouveaux cris, cette fois stridents de colère. Un moment de flottement enferma tout le monde dans une chute infinie. Michaël observa les cadavres des démons qu’el avait occis. Els ne ressemblaient plus tant que ça a des démons, mais à de simples élohim, quoique sombres. Un doute tordit le ventre de la vertu. El serra son couteau dans sa paume et le brandit en avant, car d'autres démons surgissaient de nulle part. Son avertissement résonna, clair.
— Reculez ! Reculez ! Laissez-moi ou vous finirez tous sans tête !
Michaël continua de tisser et de couper. Ses ondes tranchantes libérèrent peu à peu le monde de la paralysie. Les démons-chérubins, reculèrent. Mais soudain…
— AH !
L’un d’entre eux surgit par derrière. Il attrapa les ailes de Michaël et lui mordit l’épaule. Ses crocs s’enfoncèrent dans la chair dorée du prince, avant de broyer ses os. Michaël poussa un hurlement si strident qu’il déchira lui aussi le sort maudit des démons. Alors que l’entropie regagnait l’univers, Michaël se libéra et en un réflexe de violente survie, retourna son couteau vers el. El cria de plus belle et le planta dans l’œil central qui ornait le front de son assaillant.
— Gah !
Le vaisseau se remit à trembler, puis tout le reste. Encore dans les airs, Michaël tendit les bras vers les élohim, qui sortaient peu à peu de la paralysie. El tissa pour els des thaumaturgies de soins, alors qu’els tombaient au sol. Le cours du temps reprit. Les élohim bougèrent.
Et hurlèrent.
De leur point de vue, les élohim venaient de voir leurs pairs s’écrouler au sol, soudain criblés de plaies. Certains s’étaient effondrés, morts. La panique gagna la foule. Les élohim partirent à tire-d’aile, seul EL sait où.
— Qu’as-tu fait ?! hurlèrent certains, accusant Michaël. Tu t’es téléporté et d’un seul coup…
— Démons ! s’écria Michaël. Il y a des démons !
Les élohim observèrent Michaël comme si el était fou. Mais leur colère s’atténua.
— Michaël !
— Nana ?
Michaël chercha son complice du regard. El le retrouva écrasé entre deux puissances qui l’avaient restreint. El paraissait maintenant moins hostile, mais son regard était rempli de panique.
— Les ténèbres se cachent entre les fils de la réalité petit prince, cracha-t-el malgré son amertume. Laisse-moi soigner ta plaie ! Elle suinte !
Nana avait raison. Un liquide noir coulait de la morsure de Michaël, sur son épaule. Le prince descendit et libéra son compère. Alors qu’el le laissait soigner sa plaie, el demanda.
— Tu les as vus ?
— Oui, grogna Nana. Leurs reflets...
— Par EL, que sont ces choses ?
C’est en observant les alentours que Michaël remarqua que les démons-chérubins avaient tous disparus. Même ceux qu’el avait tués. Alors que les élohim semaient le chaos par leur panique, les secousses du vaisseau se calmèrent.
— Toutes ces secousses, c’était de là que ça venait, souffla Michaël. Ces démons nous ont paralysés plusieurs fois…
— Ouais.
— Nana, que sais-tu ?
— J’ai pas mal bourlingué petit prince. J’ai déjà croisé les démons d’entre les fils de la Création. Ils arrêtent le temps pour trouver et tuer leurs proies. Seuls nos sauts dans le Reflet nous ont permis, nous, Géhenna, de les découvrir…
— Quoi ?! Mais par EL ! Comment…
— Peu importe. Ce sont surement eux qui ont téléporté le Domitia au milieu de nulle part pour accomplir leurs méfaits. Il faut les arrêter. Eux et leur ordre forcé. Une seule chose à savoir : en attaquant un vaisseau entier, ils s’en sont pris à un gros morceau et leur magie maudite est instable. Plus grand est le chaos, plus dur il est pour eux d’interrompre le cours de la Création.
— Plus grand est le chaos… réfléchit Michaël. Donc il faut créer de l’agitation pour les arrêter ?!
— Exactement ! Plus on bouge, plus on les ralentit. Michaël, écoute-moi. Il faut qu’on trouve un moyen de lever le confinement. En libérant tout le monde, on créera assez de mouvement pour ralentir les démons.
— Mais on risque d’exposer les passagers au danger !
— Les élohim sont davantage en danger s’els restent immobiles ! Les démons ont déjà pénétré les nids, c’est certain ! La maison des plaisirs a été épargnée jusqu’ici car les élohim y dansent !
— Oh par EL…
— Michaël ! Ouvre les portes !
Michaël se redressa et rejoignit le poste de contrôle sur sa table de bronze. El se reconnecta au cristal-terminal et prit une grande décision. Avec l’accès de Raphaël, el déverrouilla toutes les cabines. En un instant, les millions d'élohim qui les occupaient se déversèrent dans la cité. Revigoré par un cocktail thaumaturgique de Nana, Michaël redécolla vers les hauteurs et déploya un filet de lumière sur tous ceux qui l’observaient.
— Élohim ! appela-t-el. Une corruption inconnue parcourt notre vaisseau. Le réseau EL est coupé mais par la grâce de notre Créateur, j’ai pu vous libérer et nous réunir ! Connectez-vous à moi, étendez mon filet. Parcourez en chantant tous les recoins du vaisseau. Diffusez votre lumière et la sainte parole d’EL et de ses enfants. Tous ensemble, arrêtons les ténèbres qui s’immiscent parmi nous !